Digitalisation du retail : implications pour le business model
Que la crise COVID, le confinement et les mesures de distanciation sociale aient changé nos comportements de consommation et accéléré la diffusion de l’e-commerce, c’est une évidence. Et même si les conséquences de la crise sanitaire continuent de se faire ressentir dans le secteur des services (notamment dans le tourisme et les transports), la vente en ligne des produits s’est renforcée.
Au cours du second trimestre, les sites de vente sur Internet, tous produits et services confondus, ont enregistré 408 millions de transactions, pour un chiffre d’affaires de 25,9 milliards d’euros.
L’évolution du mix-produit sur Internet entraîne une hausse du panier moyen, lequel passe la barre des 60€ (63,6 €), soit une hausse de 6,8% par rapport au 2e trimestre 2019.
L’expansion de la vente en ligne est encore plus marquée pour les ventes réalisées sur les places de marché, qui ont encore accéléré au 2ème trimestre 2020 :
Les premières analyses des performances du commerce digital indiquent une évolution inéluctable du comportement d’achat des consommateurs, toutes catégories sociales et d’âges confondues.
Au vu des décisions du gouvernement de ces derniers jours sur les nouvelles restrictions sociales et de la longueur de la crise, on s’attend bien à ce que les habitudes d’achat acquises par les consommateurs se pérennisent. En France comme à l’international.
L’accélération de la digitalisation dans le retail est un constat : mais que choisir : l’e-shop ou la marketplace ?
Qu’il s’agisse de GG ou de TPME, dans les services (les restaurateurs avec le click and collect) et encore plus dans la vente de produits (mode, alimentaire, jardinage, bricolage, décoration…), les entreprises accélèrent la transformation digitale dans la distribution de leurs produits comme dans la relation client.
Même les entreprises qui, dans « le monde d’avant » s’appuyaient sur les canaux de distribution traditionnels (grossistes, grande distribution…), privilégiant un Business Model B2B2C, se sont résolues à se lancer dans l’e-commerce, poussées par la nécessité de renforcer la relation avec leurs clients finaux et de contrer la crise de consommation liée à la COVID et au confinement.
Un effort qui se traduit pour certaines d’entre elles (notamment les fabricants ayant une taille et une reconnaissance de marque suffisantes pour être visibles) dans le développement d’un site marchant en propre.
D’autres préfèrent s’appuyer ou même créer des plateformes de vente multimarques, des « marketplaces » : un phénomène qui connaît un essor sans précédent, comme illustré plus haut.
La marketplace appelée également place de marché (de services ou produits) est un site e-commerce tripartite au sein duquel trois acteurs principaux se rencontrent : l’opérateur de la plateforme, les vendeurs / fournisseurs et les acheteurs, professionnels ou non.
Elle offre un service d’intermédiation commerciale en ligne, réglementé par un champ juridique, entraînant des opérations de banque et services de paiement en ligne contre une rémunération ou un avantage économique.
Il en existe deux modèles de base :
- La « pure » marketplace, qui rassemble 3 acteurs : le distributeur, les vendeurs tiers (fabricant, grossiste, artisan, particulier…), qui sont tous les deux visibles sur la plateforme et l’internaute.
- Le dropshipping, qui consiste à vendre des produits que le vendeur n’a pas en stock, mais qui sont détenus et livrés par un fournisseur externe, sans que le client final ne le sache.
Mais quel choix entre site web marchand et place de marché ? Il s’agit une fois de plus d’un choix stratégique, les deux options présentant des avantages et des inconvénients à prendre en compte.
Les market-places :
Partons donc des places de marchés, quels sont leurs atouts pour les entreprises qui développent leur business sur internet ?
- Élargir la profondeur de l’offre : si on veut offrir une large gamme de produits aux acheteurs, la market place permet de le faire. De plus en plus de plateformes sont d’ailleurs hybrides et offrent à la fois leurs produits et/ou services de la marque qui les portent et ceux d’autres vendeurs : La Redoute, qui vend à la fois ses produits en propre, mais aussi les produits d’autres marques, en est un bon exemple. Aussi, les places de marché hybrides permettent de coupler produits et services associés (maintenance, recyclage des déchets – voir l’exemple de la plateforme Carrefour avec Loop, qui permet au groupe français d’intégrer le recyclage dans ses services de livraison…)
- Impliquer les consommateurs : à travers l’évaluation des services/ produits mais également directement sur la place de marché, à travers la vente de produits : c’est le cas pour E-Bay, mais également d’Amazon.
- Démultiplier la visibilité : la concentration de l’offre représentée attire plus de visiteurs et profite au final à tout le monde. Aussi, les places de marché sont en charge d’attirer un trafic de qualité sur le site et tirent avantage d’un SEO optimisé en lien avec la taille de l’offre.
- Internationalisation : les places de marché sont également un véhicule important d’internationalisation : dans les marchés asiatiques, et surtout en Chine, elles constituent « le » canal de distribution. A noter par ailleurs que les consommateurs font de plus en plus des achats « cross-border » via les plateformes à la recherche du meilleur rapport qualité/ prix.
Mais attention : le stockage et la livraison restent à la charge des vendeurs. Les places de marché ne gèrent pas en direct la gestion de la logistique avec des économies de coûts importantes pour les opérateurs.
Aussi, en fonction du business model proposé par l’opérateur de la plateforme, (« pure market place » ou drop-shipping) le fournisseur de produits ou services sera plus (« pure market place ») ou moins (dropshipping) visible pour le consommateur final.
De plus, sur ces marketplaces, une entreprise pourra être confrontée avec des produits de piètre qualité, que la marketplace determine comme « équivalents » dans son algorithme, et présente comme des choix alternatifs sur la page de l’internaute. Une marque a ainsi très peu de possibilités de se différencier par rapport à un concurrent, car une marketplace offre une présentation UX standardisée.
L’e-shop en propre (ou un mixte…) :
La marketplace peut, en revanche, ne pas correspondre à la stratégie des entreprises ayant une identité et une image forte, et qui privilégieraient d’abord le choix d’un site internet marchand en propre, à inscrire dans une stratégie « omnicanal » ou « phygital » ; quitte à utiliser les market-places de manière complémentaire pour maximiser leurs ventes, optimiser la gestion des stocks ou pénétrer des marchés difficilement atteignables autrement (comme la Chine, notamment). C’est le choix fait par la plupart des marques dans la cosmétique ou dans la mode : nous pouvons acheter des produits Vuitton, Hermès ou Armani d’abord sur leurs sites internet mais aussi sur des marketplaces, de choix, bien sûr.
L’option e-shop en propre devrait être prise en compte également par toutes les jeunes entreprises qui visent à construire une réputation de leur marque forte.
De fait, les avantages d’une stratégie d’e-commerce mono-marque sont l’autre côté de la médaille des avantages des marketplaces. Le site de vente en propre permet de :
- Construire une réputation de la marque forte : les acheteurs sur une market-place achètent un produit pour le prix, les avis, la disponibilité … Il est donc extrêmement difficile de fidéliser des clients acquis sur une market-place.
- Garder la maîtrise de son CA : si pour quelques raisons, la market-place décide d’évincer la marque, cette dernière perd une partie de ses revenus.
- Ne pas s’exposer au cannibalisme de la part de la market-place : les opérateurs de marketplace ont l’opportunité de collecter une grande quantité de données sur les produits vendus. Si l’un des produits ou services proposés sur leurs plateforme rencontre un bon succès de vente, la marketplace “hybride” proposera bientôt le sien, souvent moins cher et souvent favorisé par l’algorithme. L’e-commerçant sera une solution de repli pour la marketplace en cas de rupture de stock, et ce sans risque ou coût supplémentaire pour cette dernière.
- Contrôler le prix (et donc la marge) : avec un site e-commerce mono-marque on n’est pas exposé à une compétition directe sur le prix du produit ou service et on peut mieux maîtriser sa politique de prix, sa marge et donc sa rentabilité, à condition de générer un volume suffisant de ventes.
- Agir sur son propre Business : avec un site e-commerce, une multitude d’actions de génération de trafic sont possibles. Il est possible de travailler à la fois le search en SEO (référencement naturel) et le SEA (référencement payant), qui sont souvent les piliers du e-commerce. Mais les marques ont aussi la possibilité de travailler sur de nombreux autres canaux d’acquisition, et notamment sur les réseaux sociaux, sans avoir peur de voir leurs clients partir à la concurrence comme cela arrive sur une market-place.
Quel que soit le choix entre market-place et site marchant indépendant (ou un mixte entre les deux), le développement de l’e-commerce implique pour les entreprises une évolution de leur business model et une attention accrue au parcours client.
Quel impact sur le business model et la CX ?
De fait, l’impact sur le business model se produit à différents niveaux :
- Les canaux de distribution
- L’organisation de la logistique
- Les ressources
- La relation client
- Les modalités de gestion interne (comme les systèmes de facturation par exemple) et la contractualisation avec ses partenaires
- Les canaux de distribution : prenons le cas d’un fabricant qui décide de se lancer dans la vente via son site web. Ce choix va a minima changer les relations de force au sein de sa chaîne de valeur, et potentiellement raccourcir cette dernière. Un exemple concret : les plus importants producteurs d’équipement pour la maintenance des voitures ont commencé à vendre leurs produits en direct afin de renforcer leurs liens avec leurs utilisateurs finaux. Leur business model a évolué à plusieurs niveaux : relation client, canaux de distribution, coûts… Cette évolution a entrainé également un changement dans la stratégie marketing et la supply-chain…
Leurs distributeurs traditionnels, menacés par ce changement, sont par ailleurs également obligés de revoir leur positionnement, leur business model et leur offre de service… - La logistique : sans gestion efficace de la logistique, les efforts visant à vendre à travers différents canaux — des magasins physiques aux smartphones, en passant par les réseaux sociaux — risquent de générer une expérience client décevante. En effet, un certain nombre d’écueils s’interposent sur le chemin de la livraison d’un produit et service pour une pleine satisfaction des consommateurs :
- La flexibilité dans le traitement des commandes
- L’efficience du dispositif de gestion des commandes individuelles alors que l’activité d’origine consiste principalement à livrer en gros aux centres de distribution,
- La gestion de la livraison du dernier kilomètre, dont le résultat façonne l’expérience client,
- La gestion efficace des retours de produits, afin de garantir la satisfaction client.
- La relation client : dans l’hypothèse notamment de mettre en place une plateforme de vente à partir de son propre site web, et/ ou via une approche omnicanal, la manière de « parler » aux clients change inéluctablement. Le service client devient clé, la communication via les réseaux sociaux (qui sont désormais également des canaux de vente) indispensable. Ce qui implique aussi un changement de stratégie marketing.
- Contractualisation et facturation : qu’on décide de mixer une présence dans la grande distribution avec une plateforme d’ e-commerce sur son propre site ou qu’on s’appuie sur une plateforme de vente, des questions de contractualisation et facturation s’imposent : est-ce que le nouveau modèle de vente va changer les commissions destinées aux distributeurs traditionnels ? Qui émet la facture ? Ça peut être la plateforme de Bezos ou l’entreprise qui s’appuie sur le géant de la distribution en ligne qui en est en charge ….
- Les ressources : l’impact est autant sur les moyens techniques (système de supply-chain, structures informatiques…) que sur les ressources humaines : mise en place d’un service client plus robuste dédié au B2C, équipe de gestion de la logistique, équipe informatique, acquisition de CX management tools et ressources marketing, community management, …
Ces défis, aussi importants soient-ils, ne représentent souvent que la partie émergée de l’iceberg. Il n’est donc pas surprenant que les entreprises aient des difficultés à accélérer leurs activités d’e-commerce. Qu’est-ce qui les retient ?
Les marques sont confrontées à trois problèmes fréquents :
- elles n’intègrent pas suffisamment leurs capacités logistiques avec leur système d’information ;
- elles n’exploitent pas en profondeur les ressources dont elles disposent ;
- elles négligent l’analyse des données. Les marques en difficulté ont besoin de nouveaux leviers et capacités logistiques.
La transformation digitale de la distribution et du commerce, qu’il s’agisse de biens ou de services implique la révision de l’architecture de l’entreprise et de son business model en partant de l’expérience client, ou CX, (pour en savoir plus www.business-design.io/lexperience-client-cx-au-coeur-de-la-performance).
Les géants du e-commerce, Amazon le premier, nous ont bien appris que la simplicité d’achat et le parcours client sont la clé du succès.
Auteur
Gabriella Fiori
Design de services, Business Model, analyse marché, économiste.
Cet article a été rédigé avec la collaboration de Fabrice Galli Agence Firstcom.